Maude Baudier et Vanessa Mohli sont deux jeunes femmes pétillantes à l’origine d’un projet défendant la place des femmes dans le sport : Les Bornées. Aujourd’hui, elles sont incubées par Adidas au sein de Station F, épicentre des startups à l’échelle européenne. Elles partagent avec moi sur leur vie entrepreneuriale. Rencontre.
Comment est né le projet Les Bornées ?
Maude : Les Bornées, c’est le nom du projet qu’on a monté avec Vanessa pour permettre des rencontres régulières sur Paris autour de la pratique du cyclisme, pour les hommes, les femmes, tous niveaux confondus. Tout a commencé en 2018 où on s’est motivées toutes les deux pour réaliser une épreuve de montagne du Tour de France et où on avait envie de communiquer sur notre participation à travers nos réseaux sociaux personnels. Et là, ça a été la douche froide, on recevait régulièrement des remarques misogynes et sexistes...
Vanessa : Cela a vraiment touché notre égo et nos valeurs féministes. On s’est renseignées et on a alors découvert qu’en France seulement 5% de femmes participaient à des compétitions de vélo et 10% étaient licenciées à la Fédération Française de Cyclisme ! Maude et moi on s’est alors dit qu’on voulait faire bouger les lignes et prouver à tout le monde qu’on était capables de réaliser cette étape du Tour. En 2 mois, on a réussi à rassembler 6 000 € pour payer nos équipements, assurer la prise de photos et de vidéos, créer des contenus pour le site web, etc. On avait encore plus l’envie de mettre en avant notre défi pour défendre la place des femmes dans le sport. Le nom “Les Bornées” était parfait pour notre binôme ! Il rassemblait deux notions : “quelqu’un de borné” pour “être têtu”, et “vous allez devoir borner” rapport aux kilomètres à vélo.
Maude : Et… on a terminé l’étape ! Suite à cela, on s’est faites remarquer par des marques qui nous demandaient des conseils en communication digitale et notamment sur la bonne façon de cibler les femmes dans le sport et le cyclisme. On faisait un peu du consulting gratuitement. Et puis un jour, on a pris conscience que cela avait une vraie valeur et qu’on pouvait tenter d’en vivre. Donc finalement, en mai 2018, Vanessa quitte son travail en CDI pour se lancer dans l’aventure entrepreneuriale à mes côtés et fonder LBDC : Les Bornées Digital Company.
En 2019, vous avez un projet un peu fou…
Maude : Notre participation à l’étape du Tour en 2018 nous avait beaucoup plu, et on souhaitait permettre à d’autres de vivre ces moments de dépassement de soi. Vanessa et moi, on s’est alors lancé le pari un peu fou d’emmener 30 personnes sur l’étape du Tour 2019, pendant une semaine, en prenant tout en charge : le logement, le transport, la nourriture, la communication… C’était un projet de dingue, à 70 000 euros, monté de A à Z en à peine six mois. Cette participation a fait un gros buzz. Beaucoup de personnes se demandaient “C’est quoi les Bornées ?”. Ils étaient impressionnés par notre capacité à avoir organisé cela à deux, là où généralement les agences gèrent ça avec une dizaine de personnes.
Vanessa : Après cette seconde participation à l’étape du Tour, on a commencé à être de plus en plus contactées par des “riders”. Des personnes souhaitaient elles aussi créer leur groupe de cyclisme dans leur ville, en France dans le cadre des Bornées. On a fini par créer une vraie communauté de passionnés, investis pour défendre la féminisation du sport par la mixité. Notre envie est de démocratiser le sport, qu’hommes et femmes roulent ensemble, quels que soient leur âge ou leur niveau. En un mois, on a ouvert 8 villes. Rapidement, la question qui s’est posée c’était de savoir comment reproduire et insuffler notre ADN Les Bornées, un peu partout...
“Notre envie est de démocratiser le sport, qu’hommes et femmes roulent ensemble, quels que soient leur âge ou leur niveau.”
Comment avez-vous géré cette expansion du projet ?
Maude : Pour les différentes villes à ouvrir, on a fait passer pas mal d’entretiens pour être sûres de trouver les bonnes personnes, en accord avec nos valeurs et désireuses de s’investir durablement pour organiser des courses. Avec Vanessa, on est très complémentaires en termes de compétences et de caractères. C’est ce qui fait la force de notre duo aujourd’hui. Alors, on essaye de retrouver ça aussi dans les binômes qu’on recrute. Moi je suis plutôt leader, avec un tempérament fort, sanguin. Vanessa, elle, a un esprit plus maternel et empathique.
Vanessa : Au début, on faisait juste confiance aux personnes qui rejoignaient le projet, mais très vite on s’est aperçu qu’il fallait plus structurer. On a fini par créer une Charte pour les ambassadeurs. Cette Charte pose vraiment les bases du projet et définit la relation et l’engagement que suppose de rejoindre Les Bornées notamment en matière d’éthique. C’est super important car c’est très dur de recréer un ADN qui n’est pas écrit noir sur blanc.
“On a créé une Charte qui décrit notre ADN, noir sur blanc. C’est la base de notre relation avec les personnes adhérant au projet Les Bornées.”
Maude : Au-delà de ça, on a aussi dû encadrer la communication de chacun. On a décidé de centraliser l’ensemble des contenus des villes et ensuite de les distribuer sur les réseaux sociaux Les Bornées. On forme les ambassadeurs en province sur les techniques pour faire une belle photo, les règles de partage sur les réseaux sociaux : utiliser les bons termes, les bons hashtags... Tout le monde ne bosse pas dans le digital !
A quel moment avez-vous décidé d'intégrer Station F et plus particulièrement le programme Adidas ?
Maude : En fait, c’est Adidas qui nous a contactées. Ils nous avaient repérées. Avec Vanessa, on s’est dit que c’était une superbe opportunité à saisir. Du coup, pendant l’été 2019, on a passé des entretiens de sélection : une rencontre pour parler du projet et de nos motivations, un entretien de personnalité, une vidéo pitch en 3 minutes du projet et une présentation finale en Allemagne devant le board Adidas. Sur une centaine de startups, seules 12 avaient la possibilité d’être incubées.
Vanessa : Et… le projet a été retenu ! L’objectif de cette incubation c’est d’avoir un support de la part de l’équipementier mais aussi de co-créer un projet à terme. C’est une bonne nouvelle mais en même temps un grand virage à aborder. En intégrant le programme Adidas, Maude et moi avons fait le choix de nous consacrer pleinement au développement du projet Les Bornées. Ce qu’il faut comprendre, c’est que Les Bornées ça nous coûte de l’argent. C’était l’agence digitale LBDC qui finançait l’activité en 2019. Mais c’était l’une des conditions de notre intégration dans le programme startup. On a complètement remis à plat le business model Les Bornées en misant sur le membership, le sponsoring et l’événementiel. Actuellement on est en train de véritablement professionnaliser Les Bornées.
Maude : L’incubation dure 8 mois au total. Régulièrement, on échange avec Adidas sur le projet qu’on doit mener conjointement. C’est très enrichissant. Sur le reste, nous restons autonomes mais ils peuvent nous venir en aide si nous en ressentons le besoin.
Comment travaillez-vous toutes les deux au quotidien ?
Maude : On travaille majoritairement de chez nous. Pour Vanessa, cela a demandé un petit temps d’adaptation au début : elle se sentait presque obligée de me faire un rapport de ses horaires, de justifier de ce qu’elle avait fait, comme lorsqu’elle était salariée. Mais, moi ce n’est pas du tout mon état d’esprit, le principal est que le travail soit fait.
Vanessa : Plusieurs fois dans la semaine, on se retrouve aussi à Station F où nous avons des bureaux. Personnellement, j’y trouve une certaine forme d’équilibre. Avec Maude, on s’entend très bien et on se fait confiance sur les horaires. On a beaucoup plus de flexibilité et c’est vraiment appréciable.
Est-ce que vous arrivez à décrocher de temps en temps ?
Maude : Ce n’est pas évident. Notre passion c’est notre travail ! C’est une chance mais du coup, tout devient pro. En vacances, quand on te demande ce que tu fais, tu parles de ton projet. Quand tu fais une course en vélo le week-end, quelque part, c’est aussi pour le boulot. Les personnes te contactent sur Facebook, et pas par mail ou LinkedIn. Parfois, c’est épuisant.
Vanessa : J’ajouterai que chacune a aussi son domaine de compétences. On a notre pôle de responsabilités, qui est un mix entre nos savoir-faire et nos personnalités. Et comme on est une toute petite structure, quand l’une est en vacances, l’autre prend le relais, mais jusqu’à un certain point. Quand ça touche trop au pôle de l’autre, on se consulte quand même.
Qu’est-ce qui vous marque particulièrement dans votre aventure entrepreneuriale ?
Vanessa : L’avantage je trouve c’est que je peux plus impliquer mes proches que lorsque j’étais salariée. Nos parents, nos amis, sont là pour nous aider en cas de besoin. Il y a une vraie entraide. Et comme Les Bornées défend des valeurs fortes et positives, c’est un argument supplémentaire qui donne envie aux personnes de s’investir.
“Avec l’entrepreneuriat, on peut véritablement impliquer nos proches.”
Maude : C’est vrai. J’ajouterai que l’entrepreneuriat c’est les montagnes russes tout le temps. Rien n’est jamais acquis. Parfois, c’est difficile. Le fait d’être deux dans ce cas là est une vraie force, on est complémentaires. On se soutient mutuellement. Mais quand c’est trop dur, alors nos proches prennent le relai.
“L’entrepreneuriat, c’est les montagnes russes en permanence. Etre deux, c’est une force.”
Vanessa : Je dirai aussi qu’être startuper, c’est être constamment dans une démarche d’apprentissage, de test & learn. Il faut savoir gérer des imprévus en permanence, être flexible. Je trouve qu’on a énormément développé nos soft skills en deux ans. Ça ne s’apprend pas à l’école ça et le fait d’être en duo nous permet de s’enrichir l’une et l’autre.
Maude : Mais, c’est également beaucoup de sacrifices. Pendant plus de 2 ans, on ne s’est pas payées en vivant grâce aux allocations chômage et à nos économies. Depuis quelques mois, on commence à se verser un salaire mais nous sommes au plus bas de la rémunération légale. Ce n’est pas viable à long terme et cela nous met évidemment une grande pression psychologique pour faire que le projet devienne rentable et trouver le bon business model.
“Il y a une grande pression psychologique pour faire que le projet soit rentable le plus vite possible et qu’on puisse tenir financièrement.”
Y-a-t-il des erreurs, des pièges à éviter ?
Vanessa : Je dirai qu’il faut réussir à trouver un équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Cela est compliqué comme on le disait avant car notre projet rejoint notre passion. Il faut savoir mettre des limites, à soi, mais aussi aux autres.
Maude : Autre sujet, mais super important aussi : bien assurer ses arrières juridiquement parlant. Il faut vraiment passer du temps à relire les contrats et ne pas hésiter à les négocier. Si on n’a pas les compétences pour le faire, il faut bien s’entourer, avec des personnes qui comprennent le projet, ses enjeux. Nous par exemple, on a une juriste et, en complément, on utilise aussi l’outil Legalstart. C’est une plateforme qui permet d’éditer des documents juridiques simplement et qui nous facilite grandement la vie. La chance qu’on a, c’est qu’on est arrivées au moment où les startups c’était vraiment tendance. Du coup, il y a de plus en plus d’outils hyper bien pensés.
Quelle est votre plus grande réussite actuellement concernant le projet ?
Maude : Aujourd’hui, le projet Les Bornées est devenu la référence sur la féminisation du cyclisme en France. “Les Bornées”, c’est un terme qui est maintenant un concept, qui véhicule des valeurs et a une vraie portée. C’est fou d’en être arrivées là !
Vanessa : Je conclurai sur le fait que de plus en plus de débutants osent et nous rejoignent. Pour nous, c’est une grande fierté.
Merci !
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